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Maria Olivet

12 ans à l'époque

Avec ma robe de communion
Avec ma robe de communion

Ce 18 août je devais aller chercher ma robe pour ma grande communion à Namur. C'était chez une couturière de la rue des Carmes: chez Monsieur et Madame Herpiny. Ils occupaient le bâtiment où il y a maintenant l'Opticien Capelle, vis-à-vis de la banque.

J’habitais à Profondeville et je devais m’y rendre en tram avec mon papa. Comme il était toujours en retard il m’avait dit qu’il monterait dans le tram à Fooz-Wépion et que, s'il ne montait pas à cet arrêt je devais rester dans le tram puis l’attendre au bistro “Chez Jean”. Cet établissement était tenu par un ami de mon papa et se trouvait Place d’Armes. Mais je n’ai pas dû aller l’attendre au bistro parce que, pour une fois, il était à l’heure et il m'a donc rejointe dans le tram à Fooz-Wépion.

Arrivés à l’atelier de couture, on a entendu les avions, j’ai regardé par la fenêtre: le bombardement commençait. Mon papa a juste eu le temps de m’attraper et on est tous descendus dans la cave en attendant que ça se calme. Les habitants de l’immeuble se sont aussi réfugiés dans la cave.

Nous sommes ensuite rentrés à pied jusqu’à notre maison à Profondeville. Il y avait des cadavres partout et tout était détruit. Et surtout, le café où je devais aller attendre mon papa s’était effondré et tous les gens qui s’y trouvaient sont morts! J’ai eu de la chance…

L’immeuble effondré en arrière-plan est là où je devais me trouver. (Collection Vincent Brusch)
L’immeuble effondré en arrière-plan est là où je devais me trouver. (Collection Vincent Brusch)

Heureusement nous n'avons pas eu de proches qui aient été victimes du bombardement. Quelques jours plus tard mon papa est retourné chez les époux Herpiny pour retirer ma robe de communion.

Moi et ma petite-fille Fiona, 17 ans
Moi et ma petite-fille Fiona, 17 ans

Jenny Tonon

18 ans à l'époque

Une photo de moi à l’époque
Une photo de moi à l’époque

Je me souviendrai toujours de ce 18 août 1944. J'avais alors 18 ans, et je travaillais ce vendredi, afin d’aider financièrement ma mère car mon père était retenu prisonnier en Allemagne depuis 4 ans. Mon travail était de servir des glaces à ‘La Pergola’ dans la rue de Marchovelette, vis-à-vis de l’actuel Inno. Maintenant où il y avait la Pergola on trouve la pâtisserie Dumont. Je n’avais pas de salaire, j’étais payée seulement en pourboires. C'est alors que ma journée était bientôt terminée, juste après 18h00, que s’écrasèrent les bombes.

Avec l’alerte, nous devions tous nous réfugier dans la cave. Mais une jeune femme avait des difficultés pour descendre avec sa mère, cette dernière était devenue presqu’aveugle sous le coup de l’émotion. Pendant ce temps-là, deux messieurs en profitèrent pour partir sans payer. Ils avaient pris chacun un café viennois qui coûtait 10 francs à l’époque. D’une manière assez inconsciente, j’ai couru après eux pour leur réclamer l’argent, qu’ils m’ont donné! Puis je suis retournée à ‘La Pergola’ mais je ne suis pas descendue à la cave. Je n’ai pas eu le temps de me cacher quand les bombes se sont abattues.

Mon tablier fut alors rempli de sang, il ne s'agissait pas du mien, je ne saurai jamais d’où ni surtout de qui il venait. Dehors il y avait beaucoup de personne au sol et certaines étaient mortes… des images à jamais imprégnées dans ma mémoire. J'ai eu une terrible chance de ne pas avoir été touchée. Avec la déflagration il y a eu tout un toit en verre dans le fond du magasin qui a été détruit et tous les morceaux de verres se sont retrouvés par terre, ce fut le seul dommage dans l’établissement.

Ma mère vint vite à vélo de Jambes, où nous habitions, pour voir si j'allais bien, traversant la Meuse et la Sambre. Quelqu’un lui cria: ‘Elle n’a rien à sa boutique!’, mais elle ne comprit pas directement et continuait de se dépêcher pour me retrouver. Je fus d'ailleurs étonnée de la voir. Moi pendant ce temps-là je balayais simplement devant le magasin. Un réflexe naïf: à quoi bon balayer devant la porte alors que toute la ville était en ruines? Évidemment ma mère a eu très peur de voir mon tablier plein de sang!

Tout près de La Pergola, la Place d’Armes en ruines! (Collection J. Offergeld)
Tout près de La Pergola, la Place d’Armes en ruines! (Collection J. Offergeld)

Cet épisode ne fut d’ailleurs pas la seule erreur de frappe des alliés. Le 13 avril 1944, c'était le jeudi après Pâques, La Plante fut bombardée. On a appris plus tard que c'était la gare de Ronet qui était visée... La déflagration fut tellement forte que nous avons reçu un pavé dans notre jardin de la rue de Francquen, à 500m de l'autre côté de la Meuse! Ce pavé nous l'avons laissé dans le jardin comme souvenir...

Quant à mon mari, que je ne connaissais pas encore à l’époque, il a lui aussi eu de la chance. Alors qu’il habitait au numéro 10 de la rue Moncrabeau, le magasin Delhaize qui faisait le coin au n°2 avec la rue de Fer a été bombardé. Et le n°6 qui appartenait à la famille a été très abimé. Il s’en est fallu de peu que cette bombe tombe sur sa maison.

Moi et mon fils Francis
Moi et mon fils Francis

André Boever

10 ans à l'époque

Je peux en effet me considérer comme étant un rescapé de ce drame dans la mesure où je dois la vie sauve au fait d'avoir...raté un tram!

Voici comment:

J'avais dix ans depuis quelques semaines et j'habitais au 22 de la rue Pépin, où je suis né en juillet 1934. J'étais allé passer cette très belle journée d'août chez mes cousins qui habitaient sur les hauteurs de Wépion. Pour rentrer le soir à la maison, j'avais prévu de prendre le tram n°4 vers Namur à l'arrêt des ‘Collets’, à hauteur de l'actuel pont routier de Wépion. Hélas, gamin insouciant, je suis arrivé une minute trop tard à la chaussée de Dinant. Le tram ne s'était pas arrêté et filait déjà vers Fooz, sous mes yeux. Raté!

Rétrospectivement, on peut dire que ce fut la chance de ma vie! Un quart d'heure plus tard, ce même tram jaune crème fut complètement détruit par une bombe en arrivant sur la place d'Armes, et ses occupants tués ou grièvement blessés. Au moment du drame, il arrivait de l'avenue Golenvaux et avait pris la courbe pour s'engager sur la place d'Armes vers le Théâtre.

Sur cette photo on voit exactement le tram que j’ai raté. (Collection J. Offergeld)
Sur cette photo on voit exactement le tram que j’ai raté. (Collection J. Offergeld)

Un de mes amis de classe primaire fut justement tué Place d’Armes, chez lui. Il avait dix ans comme moi et était dans ma classe à l'institut St-Louis, il avait aussi été louveteau scout dans mon unité. Il fut coincé par un radiateur tombé sur lui dans un des trois étages de l'immeuble que l'on aperçoit sur la photo. Il était blessé mais conscient et répondait aux appels, mais il a fallu de grands efforts pour le dégager car les murs menaçaient de tomber sur les sauveteurs. La photo prouve leur fragilité.

Hélas, trop longtemps resté sans soin, il a succombé. Étrangement mon ami ne fut pas mentionné sur la liste des victimes du bombardement. Je ne vois qu'une explication à son absence parmi la liste des victimes: selon moi, il pourrait s'agir non pas d'un oubli, mais bien d'un décompte des victimes immédiatement recensées le 18 août, décompte qui ne tiendrait pas compte des décès "dans les 30 jours". Or, je ne me souviens plus combien de jours mon ami a pu agoniser avant de succomber à ses blessures.... Je peux conclure cet épisode en disant que je suis resté plus d'un mois chez mes cousins de Wépion, car mon domicile de la rue Pépin était devenu, lui aussi, inhabitable : murs intacts, mais plus ni toit ni fenêtres, soufflées par les bombes tombées tout autour. La rue Pépin était éventrée par un cratère de bombe devant l'étude du notaire Logé, le petit monastère des sœurs de Ste-Julienne était rasé comme plusieurs bâtiments de Saint-Louis. Après plusieurs jours de grande chaleur, il fallut une forte odeur pour que l'on s'aperçoive que sous les gravats, gisait le corps d'un soldat allemand, tué lui aussi en pleine rue Pépin.

Ce bombardement par erreur eut comme conséquence que les G.I's ne furent pas accueillis triomphalement quand ils arrivèrent à Namur. Les premiers tanks américains ont descendu l'avenue de Marlagne et par Salzinnes. Mais les blindés ne furent guère pris d'assaut ni fleuris par les familles atteintes par les bombes des superforteresses B-29, on peut très bien le concevoir…

Je vous raconte une petite anecdote amusante sur le bombardement. Rue de Fer, le libraire Picard se trouvait au fond de son magasin qui était très profond (il s'agit de l'actuel magasin de produits de beauté Di, lui aussi très profond). M. Picard s'est retrouvé nu comme un ver au milieu de la rue de Fer, expulsé de sa librairie par le souffle, mais heureusement vivant!

À hauteur de l’actuel magasin Di où se trouvait le libraire Picard.(photo Piron)
À hauteur de l’actuel magasin Di où se trouvait le libraire Picard.(photo Piron)

André Lonnoy

22 ans à l'époque

Au mois d’août 1944, notre famille habitait le long de la Nationale 4 à Belgrade. Moi, le jour du bombardement de Namur, je me trouvais à Signeul, en Gaume dans la famille Gillet, celle de mes beaux-parents. Je me cachais des Allemands car après une permission je n’étais pas retourné en Allemagne comme travailleur obligatoire. En Gaume, je faisais partie de la résistance. Je ne suis retourné à Namur que le 22 septembre, une quinzaine de jours après la libération.

À Belgrade vivait mon père André et sa deuxième épouse Rachel ainsi que mon frère Georges qui avait 14 ans. Ma mère était malheureusement décédée un an après la naissance de Georges.

Durant l’après-midi de ce vendredi 18 août, mon papa et ma belle-maman ont simplement demandé à mon petit frère d’aller faire quelques courses en ville, surtout de la nourriture qu’il devait acheter dans des commerces de la rue de Fer.

Et il y eut ce terrible bombardement. Nous n’avons jamais revu mon petit frère. On a demandé aux rescapés rue de Fer, mais personne n’a su nous dire où était Georges. Il a donc été recherché dans les décombres, mais en vain, rien de lui n’a été retrouvé. Il devait se trouver au plus mauvais endroit de la rue…

Une photo de mon petit-frère Georges
Une photo de mon petit-frère Georges

Nous avons donc inhumé à Belgrade une victime inconnue, à défaut d’avoir retrouvé la dépouille de Georges. Ce fut un nouveau coup dur pour notre famille et un si triste sort pour Georges…


Madeleine Absil

21 ans à l'époque

Une photo de moi à l’époque
Une photo de moi à l’époque

J’habitais Hulsonniaux dans la commune de Houyet mais j’étais à Namur ce 18 août 1944. J’avais 21 ans à ce moment-là. Je suis arrivée la veille à la clinique St-Camille, l’actuel CHR, pour y subir une ablation des amygdales. Namur était l’endroit le plus proche pour cette opération, je me suis rendue seule jusque Ste-Camille.

Je me suis donc faite opérer la matinée du 18 août. Les conditions dans les hôpitaux à l’époque n’étaient pas particulièrement mauvaises mais les chambres étaient petites et un peu sales, j’ai eu très peur en trouvant une araignée dans mon lit. Mais j’ai eu bien plus peur ensuite…

Vers 18 heures quand les avions sont arrivés c’était l’alerte: tous à la cave! Nous étions très nombreux à la cave, il faisait sombre et beaucoup de personnes priaient. Je n’ai parlé à personne à ce moment-là, j’étais pétrifiée de peur. Le bombardement était terrifiant, nous sentions les déplacements d’air en étant à la cave.

Quand nous sommes remontés il y avait énormément de monde à l’hôpital. Des ambulances amenaient beaucoup de corps recouverts de poussière grise. Ils étaient alignés le long d’un mur à même le sol. Je ne savais même pas me rendre compte si ces personnes étaient mortes ou vivantes. Les chambres de l’hôpital furent bien entendu réservées à tous ces blessés. Pour nous des lits furent installés à la cave où l’on a dormi.

Je ne m’attendais pas du tout à ces bombardements, tout était normal avant. Sur le moment je n’aurais pas imaginé que c’était un bombardement des alliés américains, j’étais persuadé que c’était les Allemands.

Durant la nuit j’ai eu très peur que les avions reviennent. Du coup, dès le petit matin j’ai décidé de retourner jusqu’à Hulsonniaux à pieds! Après plusieurs heures de marche j’étais épuisée. Et j’ai alors toqué à une porte au hasard pour demander à manger. Il devait être plus ou moins midi car ces gens étaient en train de manger de la soupe. J’avais marché jusque Arbre: entre une quinzaine et une vingtaine de kilomètres parcourus à pieds!

Ces braves gens m’ont alors donné à manger et ont téléphoné à mes petits-cousins qui habitaient Yvoir. Ils ont arrangé mon déplacement jusqu’Yvoir et j’ai pu y retrouver mes cousins qui m’ont ensuite ramenée jusque chez moi.

J’ai appris plus tard que la directrice de Ste-Camille, Sœur Marie-Madeleine, qui m’avait rendu visite dans ma chambre au matin après mon opération est morte ce soir du 18 août. Elle se trouvait à l’Hospice d’Harscamp quand le bombardement a eu lieu. Une dizaine de Sœurs sont mortes là. Je n’oublierai jamais ce sentiment de peur profond que j’ai ressenti pendant ce bombardement à Namur…

Un selfie de moi et de ma petite-fille Anne
Un selfie de moi et de ma petite-fille Anne

Fontaine Gaston

17 ans à l’époque

Notre maison à moi et mes parents se trouvait rue Jean-Baptiste Brabant. Mais nous étions partis à Beez pendant la guerre depuis le débarquement. Ma mère avait peur des alertes. Entre autre parce que mon père et moi préférions voir les avions au lieu de descendre dans les caves.

Ce jour-là mes parents étaient revenus faire une course rue Jean-Baptiste Brabant. En arrivant à vélo pour rejoindre mes parents, j’ai vu les avions et les bombardements. Je me suis couché dans le fossé près du passage à niveau à hauteur de Beez.

Je suis vite allé rue Jean-Baptiste Brabant, pour voir mes parents. Quand je suis allé rejoindre notre maison les Américains commençaient à bombarder la Place d’Armes, c’était la 2e ou la 3e vague de ce bombardement. Je suis passé à travers tous les gravats et je n’ai pas crevé, je me demande bien comment d’ailleurs. Je ne comprends toujours pas. Ma mère avait reçu la porte d’entrée sur le dos, une grande porte en chaîne d’au moins 2m50 de haut. La porte n’a pas été abimée, par contre ma mère a souffert de rhumatismes toute sa vie à cause de ça.

Ma mère a encore eu de la chance, voyez les dégâts dans la rue Jean-Baptiste Brabant. Ici la section entre la rue des Bourgeois et la rue St-Nicolas (photo Piron)
Ma mère a encore eu de la chance, voyez les dégâts dans la rue Jean-Baptiste Brabant. Ici la section entre la rue des Bourgeois et la rue St-Nicolas (photo Piron)

Mon grand-père, qui était mon parrain, habitait avec ma grand-mère, rue Basse-Neuville. Il a vu sa maison totalement explosée. Peu après le bombardement, je suis allé voir la maison de mes grands-parents et je suis passé devant une personne à moitié décapitée. La personne était repliée sur elle-même et sa tête à moitié attachée pendait… Cette vision me poursuivra toujours. Je n’ai pas osé été voir qui c’était. Si ça tombe c’était peut-être un des amis…

Arrivé à la maison de mes grands-parents. Il ne restait qu’un mur avec une pendule. Et plus haut une Vierge aussi était restée accrochée au mur, mais je ne me suis pas risqué à la prendre. Quant à la pendule, je l’ai décrochée du mur, je l’ai gardée et je l’ai toujours actuellement. Il faudrait rattacher le balancier, mais cette pendule fonctionne toujours, son carillon est magnifique!

J’ai toujours l’horloge de mes grands-parents
J’ai toujours l’horloge de mes grands-parents

Mes grands-parents n’ont rien eu sur le moment, mais mon grand-père ne s’en est jamais remis. Mes grands-parents ont habité un temps avec nous à Beez. Mon grand-père n’avait qu’une soixantaine d’années mais il ne s’est jamais remis du choc. Il n’était plus présent à lui depuis le bombardement. Il est décédé seulement trois semaines plus tard.

J’ai eu une bonne dizaine de copains qui ont été tués durant le bombardement. Nous étions toute une bande, tous bons nageurs. On allait souvent nager à hauteur du pont du Luxembourg entre Namur et Jambes. Dans cette bande il y a Armand Duquet, qui est mort, comme sa sœur et ses parents. Antoine et Émile Bonet sont aussi morts avec leurs parents. Il y a aussi des copains dont je ne me souviens que du surnom mais pas du nom. Ça a fait un choc de ne rester que si peu d’une grande bande de copains.

Je connais des gens dont la famille a été entièrement décimée. M. Renard, un menuisier que je connaissais bien rue St-Nicolas, a été tué avec sa femme et ses deux fils. Plusieurs de mes copains ou des personnes que je connaissais ne sont bizarrement pas sur la liste des disparus, sans doute pas retrouvés au même moment. Je pense honnêtement qu’il y a eu plus que 330 victimes, moi j’ai le chiffre d’environ 450 en tête… Par exemple, un autre ami à moi, Martin, qui était en primaire avec moi est mort le mois suivant le bombardement, à cause du choc. Quand on l’appelait en rue il ne répondait même plus. Les bombes ne l’ont tués qu’indirectement, comme mon grand-père.

Le jour des enterrements les Allemands étaient en grande tenue, venaient présenter leurs condoléances et apporter des gerbes de fleurs. C’était évidemment pour eux l’occasion de montrer que les Américains étaient mauvais et pas eux.

Quand les Anglais bombardaient quelque chose ils le visaient. Par contre les Américains bombardaient une fois arrivés au-dessus de la cible sans vraiment viser… D’ailleurs plus tard en 1944 les Anglais, avec une seule bombe, ont eu le pont du Luxembourg, objectif initial de la mission du 18 août.

Malgré cette tragédie, on était quand même contents de voir les soldats allemands partir. Après la libération du mois de septembre, j’ai menti sur mon âge pour me faire enrôler à la Royal Air Force et je suis parti avec les alliés. À l’époque je voulais simplement tuer des Allemands… En 2e ligne je n’ai eu l’occasion de tirer que quelques fois. Quand j’y repense maintenant, j’espère n’avoir tué personne et je regrette un peu de m’être engagé… Quand on m’a demandé de ressigner pour 5 ans, j’ai préféré rentrer chez moi et reprendre ma vie normale…


Frans De Smet

1 an à l'époque

Je ne suis pas un témoin direct du bombardement du 18 août 1944. À l’époque je n’avais qu’un an, j’habitais à Zemst/Hombeek où je suis né, je suis donc un Flamand Brabançon. Mais ma tante Henrica, que nous nommions Henriette est morte de manière tragique dans ce bombardement.

Henriette était la sœur de mon père, elle avait 39 ans au moment du bombardement, un peu plus âgée que mon père. Elle a rencontré son futur mari à Bruxelles, il s’appelait Fernand Lebeau et était Bruxellois. Engagé à la SNCB, il a dû déménager à Namur pour son travail. Ils se sont mariés en avril 1929 à Namur.

Voici leur photo de mariage faite par Emile Gilles, photographe de la rue St-Jacques
Voici leur photo de mariage faite par Emile Gilles, photographe de la rue St-Jacques

Durant le bombardement, ils habitaient rue Bas de la Place au n°28. Elle était seule dans la maison, son mari n’était pas là, il était en train de travailler pour la SNCB. Quand il est revenu il a retrouvé sa maison totalement effondrée. Il ne savait pas quel sort avait été réservé à sa femme, même s’il se doutait qu’elle était morte. Ce n’est que plusieurs jours après que la dépouille de Tante Henriette a été retrouvée avec plusieurs autres victimes recouvertes par tant de décombres. Elle a eu la malchance d’être simplement chez elle.

Ma tante a été enterrée au cimetière de Belgrade, dans la sépulture commune. Pour la famille c’était très compliqué de venir de Zemst/Hombeek jusque Namur. La distance entre les deux est tout de même d’environ 80 km. Il n’y a que sa maman qui a su venir à l’enterrement. Pour venir elle a dû marcher pendant une heure à pied, puis prendre le tram jusque Bruxelles et ensuite prendre le train…

La paroisse de Zemst a organisé une messe pour Henriette, même si elle était enterrée à Namur. Ainsi toute la famille sur place a pu y prendre part ainsi que les gens du village qui la connaissaient bien.

Voici le faire-part sous forme de prière fait par la paroisse de Zemst
Voici le faire-part sous forme de prière fait par la paroisse de Zemst

Mon oncle Fernand Lebeau a vécu lui jusqu’en 1997. Il n’avait pas eu d’enfant avec Henriette. Il s’est remarié en 1976 avec une Namuroise prénommé Marie-Jeanne et a continué de vivre à Namur.

Le drame du 18 août a profondément touché notre famille en Flandre. Et même si je n’avais qu’un an à l’époque, nous parlons encore fréquemment, lors des réunions de famille, de notre Tante Henriette et de la manière tragique dont elle est morte. Nous avons une très grande famille et tout le monde connait son histoire que je vous ai partagée. C’est d’ailleurs une cousine qui m’a donné cette photo et ce faire-part. Ma fille m’a même demandé que je lui montre les photos de la rue Bas de la Place, pour se rendre compte de la violence du bombardement.


Jean Delahaut

18 ans à l'époque

Au moment du bombardement je me trouvais rue de la Pépinière, je révisais pour mes examens de médecine. Je n’ai pas été réquisitionné, je suis sorti spontanément lorsque j’ai entendu le bombardement. Le soir nous avons été déblayer avec nos mains, nous n’avions pas vraiment d’outillage. Je ne me souviens pas avoir eu une pelle ou quoi que ce soit.

En déblayant nous essayions de repérer des vêtements ou des chaussures. Ensuite nous le disions aux personnes encadrées, qui, elles, s’occupaient de fouiller pour retrouver les victimes. Nous ne nous occupions donc qu’à déblayer. En tant que bénévole nous devions respecter le couvre-feu à 23h. Mais les personnes réquisitionnées et faisant partie du service de déblaiement officiel continuaient toute la nuit.

Du côté de Bomel, il n’y a rien eu, notre quartier n’a pas été touché. Et je n’ai eu aucun proche touché par ce terrible bombardement.

Avec un copain ou l’autre j’ai participé aux déblaiements également le lendemain et peut-être le surlendemain. Après je me suis remis à étudier pour mes examens, les déblaiements étaient aussi mieux gérés et encadrés à ce moment-là. J’étudiais à Louvain, je n’avais pas passé mes examens en juillet à cause des alertes, je les ai donc passés, et réussis, à la 2e session de septembre.

Une photo de moi
Une photo de moi

Attilio Basso

10 ans au moment du bombardement

Au moment du bombardement j’étais à Salzinnes, rue Henri Blès, je venais de fêter mon anniversaire 4 jours avant. J’ai donc particulièrement bien connu tous les bombardements sur Ronet.

Cette photo de ma collection montre l’un des bombardement d’avril 44 à Ronet, vu de l’avion.
Cette photo de ma collection montre l’un des bombardement d’avril 44 à Ronet, vu de l’avion.

Nous avons très bien vu les avions qui ont bombardés Namur le 18 août. Mais quand nous les avions vus, à hauteur de la Place Wiertz ils avaient déjà largués leur bombes. Les Américains ne prenaient aucun risque et larguaient leurs bombes en altitude, ici presque 8000 mètres. Les bombes étaient donc larguées bien avant que l’avion soit au-dessus de la cible. Ils auraient sans doute pu descendre beaucoup plus bas. Ils ont fait trois tours avant de larguer les bombes.

À l’école, entre les cours, un professeur nous avait appris à reconnaître les formations des avions. Lorsque les avions se distançaient les uns des autres et que les moteurs tournaient au ralenti cela voulait dire que le bombardement était imminent. Ce jour-là il faisait très beau et on voyait très bien les avions. C’est pour cela qu’on a compris directement qu’il y a eu un largage. En parlant de météo, le rapport américain a indiqué que la visibilité était mauvaise… je ne sais pas s’il y avait de la brume là-haut, mais en tout cas, vu d’en bas, le ciel était très bleu et clair.

Il se peut aussi que la Caserne des Cadets, qui a été touchée sur un des côtés, ait été dans le viseur des Américains car il y avait des Rexistes là-bas et probablement des Allemands. En plus elle est dans le quartier du Pont du Luxembourg.

Après le bombardement il y avait plein de voitures et de camionnettes qui remontaient la rue Patenier. Elles étaient à chaque fois remplies de blessés qu’on amenait à Ste-Elisabeth. Il y avait des gens à côté des chauffeurs qui agitaient des foulards blancs et qui klaxonnaient pour demander la priorité. Je n’ai été à Namur qu’au moins 5 jours après le bombardement, on nous avait interdit d’y aller bien sûr. Quand j’y suis allé il n’y avait plus que des ruines, des personnes qui travaillaient, qui déblayaient. Il y avait aussi quelques jeunes Allemands qui déblayaient aussi. On ne voyait déjà plus de blessés à ce moment-là.

Ce fut une époque terrible pour ceux qui ont eu des dommages… Mais avec les Américains qu’est-ce qu’on s’est amusé nous à 10 ans sur leurs camions. Ils distribuaient des chocolats, des chewing-gum… Et nous nous n’hésitions pas à monter dans leurs chars et à leur chiper des rations. Des années plus tard nous en mangions encore en camping! Les soldats ne tergiversaient pas à nous demander si nous avions de jolies sœurs!

Lors d’un séjour aux États-Unis, j’ai acheté un costume de soldat américain de la US Air Force. Il s’agit du soldat Seaman. Je sais de lui qu’il faisait partie du 351e Bomber Group et devait bombarder l’Allemagne en 1943, mais il a été attaqué par des mitrailleuses et a dû faire un atterrissage forcé près de Calais.

Voilà le costume du soldat Seaman et sa veste en cuir lorsqu’il était en vol.
Voilà le costume du soldat Seaman et sa veste en cuir lorsqu’il était en vol.

Peut-être a-t-il ensuite participé aussi au bombardement de Namur. En demandant des informations à l’US Air Force sur ce pilote, ils n’ont pas dit s’il avait participé ou non au bombardement de Namur en 44. Est-ce de peur sans doute que des gens puissent se venger, ou peut-être n’avaient-ils simplement pas d’informations sur ce sujet, ça je ne le sais pas.

Une photo de ‘mon bunker’ avec toute ma collection sur la 2nde guerre mondiale.
Une photo de ‘mon bunker’ avec toute ma collection sur la 2nde guerre mondiale.

Andrée Guillaume

19 ans à l'époque

Je me souviens très bien du bombardement du 18 août 44. J'avais 19 ans et à ce moment-là je n'étais pas à Namur mais sur les hauteurs de Wépion, à Sérimont. De là on a vraiment une vue exceptionnelle sur la ville. Nous étions là parce qu'on craignait des bombardements sur la ville.

Il faisait très beau ce jour-là et nous profitions de ce beau temps en étant sur la terrasse. C’est alors que nous avons vu des avions passer. Soudain ils ont lâché leurs bombes, je voyais les bombes, je les distinguais très bien! C'était extraordinaire mais terriblement effrayant. J'étais seule chez des cousins. Mes parents, mon frère et ma sœur étaient là où ces bombes tombaient; je me mordais la main de peur.

Dès que Maman qui était dans notre maison, rue Lucien Namêche, a pu le faire elle a téléphoné pour me rassurer. Chez nous tout allait bien sauf des vitres brisées, et un trou dans le toit. Mais place d'Armes et rue Pépin, tout près de chez nous il y avait beaucoup de dégâts. Des personnes aidaient les blessés, Place d'Armes il y avait un tram renversé, des destructions.

Les dégâts de l’Institut Saint-Louis, rue Pépin, pas très loin de notre maison (Photo Piron)
Les dégâts de l’Institut Saint-Louis, rue Pépin, pas très loin de notre maison (Photo Piron)

Je ne suis descendue à Namur que le lendemain... Je me souviens de l'enterrement des 300 victimes. Il n'aurait pas fallu que les Américains arrivent à ce moment-là car c'était eux les coupables et les gens leur en voulaient énormément!


Martine Duwez

Petite-fille de survivants, née en 1953

Mes grands-parents s’appelaient Charles Duwez et Caroline Collet qui avaient tous les deux 58 ans au moment du bombardement.

Voici la photo de mariage de mes grands-parents
Voici la photo de mariage de mes grands-parents

La maison de mes grands-parents a dû être détruite suite au bombardement du 18 août 1944. C’était le bâtiment éventré que l’on peut voir sur cette photo, la maison des voisins a, elle, été totalement pulvérisée. Après avoir été abattue, la maison a été reconstruite une fois la guerre terminée.

On voit bien sur cette photo à quel point la maison de mes grands-parents était irréparable
On voit bien sur cette photo à quel point la maison de mes grands-parents était irréparable

Mon grand-père était militaire au premier régiment des Lanciers basé à Namur, et ma grand-mère était couturière. Je ne sais pas par quelle heureuse circonstance la maison était vide lors du bombardement et ils s’en sont sortis indemnes.

Pour l’anecdote, en août 1914, lors de l’invasion allemande, ma grand-mère Caroline avait déjà subi la destruction par incendie de la maison familiale située rue Pépin, et son père a été fusillé sous ses yeux. C’est ce qui les a contraints à trouver un nouveau logement, rue Saint Nicolas.

La même année, mon grand-père, militaire, a dû partir à la guerre. Il a subi les combats dans les tranchées et les attaques au gaz. Après son retour, ils ont eu cinq enfants, quatre garçons, dont mon père, ainsi qu’une fille, nés entre 1920 et 1926. Mais les ravages physiques et psychologiques consécutifs à ce qu’il avait vécu ont fait leur œuvre. S’il est décédé en 1945, je pense que c’est surtout la conséquence de ce qu’il a subi lors de la première guerre, même si la perte de leur maison a aussi été une très dure épreuve pour lui.


Madeleine Janty

11 ans à l'époque

Lors du bombardement du 18 août 1944, nous habitions avec mes parents et ma grand-mère rue Bas de la Place. Nous sous-louions aussi le dernier étage aux époux Gabriel et à leur petite fille. Nous habitions la 2e maison à droite de la porte du refuge de l’Abbaye de Floreffe.

Ici une photo de ma maison après le bombardement, c’est la maison blanche en avant blanc. (Collection Falmagne)
Ici une photo de ma maison après le bombardement, c’est la maison blanche en avant blanc. (Collection Falmagne)

À ce moment là, une famille qui possédait une fonderie avait racheté un terrain dans la rue pour faire une belle villa, qu’on appelait ‘le château’. C’était d’ailleurs eux qui possédaient les maisons alentour. Je me souviens très bien du moment où le bombardement a eu lieu. Nous étions en train de jouer dans le jardin du ‘château’, nous pouvions y rentrer par l’arrière de nos maisons. Ces entrées avaient été prévues pour que l’on puisse se cacher dans les solides caves du ‘château’ en cas de bombardement. Mais la plupart du temps, quand il y avait des alertes, tous les enfants se retrouvaient dans le jardin, jouaient dehors, et regardaient les avions qui passaient. Souvent les grands-mères surveillaient, les pères discutaient. Ces alertes étaient devenues l’occasion de se retrouver entre voisins.

On ne se tracassait donc pas pendant les alertes. Souvent les avions ne faisaient que passer. Des fois on reconnaissait la trajectoire: ‘Ah, ça va encore tomber sur la gare de Ronet!’. Mais jamais nous n’aurions pu penser être en danger. Quel serait l’intérêt de bombarder Namur?

Mon père, était revenu de Berlin au début du mois d’août. Il était prisonnier et avait travaillé dans une usine d’équipements militaires. Il a réussi par ruse à s’échapper et est vite revenu auprès de nous. En Allemagne il avait déjà assisté très fréquemment à des bombardements. Du coup quand il a entendu les avions, il a tout de suite compris que cette fois-ci c’est Namur qui serait bombardé.

Il m’a alors littéralement prise par le cou et il m’a jetée dans l’escalier de la cave du petit château. Il a aussi jeté la cage qui contenait mon lapin Zinzin, pour le protéger car il savait à quel point j’y tenais. Il m’a crié d’attendre là. Il a vite averti les autres personnes présentes dans la cour puis il a couru chercher ma mère. Avec ma maman ils n’ont pas eu le temps de se cacher. C’est donc sous un arbre qu’ils se sont abrités… Ils ont eu énormément de chance car un arbre n’aurait pas pu les protéger bien entendu!

Toutes les maisons de la rue ont été touchées. Parmi ces ruines la porte de l’ancien refuge de l’Abbaye de Floreffe restait droite, elle n’avait rien eu. Sur notre maison aucune bombe n’est tombée, nous sommes l’une des maisons qui a eu le plus de chance. Car nous n’avons eu aucun blessé ou aucun mort… Je pense par exemple au cordonnier Jaumotte qui a perdu ses 4 enfants ou bien encore au pharmacien Georges Chapelle qui est mort dans sa boutique avec sa servante.

Ici l’on voit bien la porte de l’Abbaye qui est restée debout.(Collection Falmagne)
Ici l’on voit bien la porte de l’Abbaye qui est restée debout.(Collection Falmagne)

Même si la bombe n’est pas tombée sur la maison elle avait été totalement démolie. Nous n’aurions même pas su rentrer chez nous. La façade avant était droite, mais tout l’arrière était effondré. Nous avions presque tout perdu. Les jours suivants mes parents ont essayé de repêcher l’une ou l’autre casserole parmi les décombres. Mais il y avait des pillages au tout début, par la suite les Allemands ont réussi à calmer les pilleurs. Je me demande souvent maintenant comment je pourrais vivre s’il m’arrivait la même chose et que je perdrais tout.

Il était déjà plus de 18 heures après le bombardement… Où allions-nous passer la nuit ? Au départ mon père avait pensé aller à l’Hospice d’Harscamp, car il connaissait très bien des sœurs. Mais l’Hospice était totalement détruit. D’ailleurs une bonne dizaine de sœurs ont perdu la vie ce jour-là. Mon père avait également pensé au Commissariat de Police, où il connaissait des policiers, mais une bombe était aussi tombée près du Théâtre. C’était donc impossible. Il y avait beaucoup de morts dont les corps étaient alignés près du Théâtre, mais mes parents se sont toujours arrangés pour que je ne voie ni tué ni blessé.

La solution pour passer la nuit du 18 au 19 nous est venue de notre locataire, Madame Gabriel. Elle était femme d’ouvrage, et elle travaillait au Château de Namur. Le Château était à ce moment là occupé par les Allemands, c’est là où les hauts responsables étaient. Mme Gabriel nous a donc proposé de venir avec elle demander de l’aide là-bas. Les Allemands ont accepté sans aucun problème de nous héberger pour la nuit. Je me rappelle qu’une dame là-bas avait pris la peine de me nettoyer les cheveux. Ils étaient plein de gravats et elle n’arrivait même pas à y glisser un peigne. Mes parents avaient peur de ce qu’on pourrait dire d’eux en allant passer la nuit chez les Allemands. Mon père qui revenait de Berlin n’était pas enchanté, mais nous n’avons pas eu le temps de tergiverser.

Ensuite mon père avait trouvé une solution grâce à un curé de La Plante qui nous a hébergés une petite semaine. Il nous a recommandé à une dame seule qui habitait rue du Parc et qui cherchait des locataires, dont elle pouvait être sûre de l’honnêteté. Mon père a alors eu une petite cabane place d’Armes pour poursuivre son activité d’électricien. Nous sommes alors restés longtemps habiter rue du Parc, c’est d’ailleurs à La Plante que je me suis mariée…


Danillo Buda

21 ans à l’époque

Une photo de moi
Une photo de moi

Au moment du bombardement, j’habitais rue de la Croix avec mon épouse, nous étions mariés depuis mai 1943. Nous avions une petite fille de 3 semaines, elle était née le 26 juillet.

Ce vendredi 18 août je travaillais rue de l’Ange, chez un coiffeur pour dames. Actuellement se trouve là-bas un magasin Massimo Dutti. À 18 heures, au moment du bombardement, je terminais mon travail avec la dernière cliente, mon patron était déjà parti. Nous avons entendus les alertes mais nous ne nous sommes pas cachés à la cave. Nous n’avons pas été blessés. Il y avait eu énormément de gravats partout.

Ma femme et mon bébé étaient restées à la maison rue de la Croix. J’ai eu extrêmement peur que ma femme et mon enfant soient morts… peur que la rue de la Croix n’existe plus. En sortant de la boutique je ne la voyais plus avec toute la poussière. Deuxième vague de bombes et deuxième frayeur: des bombes sont tombées rue Emile Cuvelier. Heureusement, la Rue de la Croix ne fut pas touchée.

Aucun membre de ma famille ni de celle de ma femme n’a été tué ou blessé. Sauf ma belle-sœur qui habitait rue St-Nicolas et qui a reçu plein d’éclats de verre dans le dos, rien de grave au vu de l’état de la rue. Par contre j’ai un ami tué rue de Fer au garage Ford, où il y a maintenant le parking du Centre. Il s’appelait Pierre Delculée, il avait 29 ans et était chef mécanicien. Il est simplement sorti pour voir ce qu’il se passait et mal lui en a pris…

Depuis le 6 juin et le débarquement, il y avait des alertes continuellement, mais quasi jamais de bombardement. Du coup les gens n’avaient pas peur. Des fois les gens sortaient même exprès pour voir les avions. Moi par exemple j’avais continué de travailler malgré l’alerte. S’il y avait eu des bombardements aux premières alertes, les gens auraient sans doute eu peur et se seraient cachés. Quand les alertes retentissaient les trams devaient s’arrêter. Du coup il y avait plusieurs trams garés Place d’Armes et les gens sont restés tout près. Ce qui a sans doute causé aussi de nombreux décès.

J’ai été réquisitionné comme tous les hommes valides. La réquisition s’est faite sans interruption, depuis le vendredi soir jusqu’au lendemain toute la journée. Je n’ai même pas eu le temps de voir ma femme avant de me faire réquisitionner. Je n’ai absolument rien mangé avant de rentrer chez moi le lendemain soir.

J’ai vu beaucoup de morts, surtout Place d’Armes, rue de Gravière, rue Brunswick (qui n’existe plus depuis le bombardement), rue Julie Billart, place l’Ilon, rue des Brasseurs…Un véritable carnage! Désolé pour ce détail macabre mais on ramassait les morceaux des individus avec une brouette. Ils étaient entassés rue de Bruxelles dans l’Institut St Aubain, où l’on trouve maintenant les Facultés. Je sais qu’il y a eu au moins 600 blessés. Quand je parle de blessés ce sont des blessés graves, certains étaient sans bras, sans jambes…

C’est sur ce genre de charrette à bras que nous transportions les restes humains.(Collection Vincart)
C’est sur ce genre de charrette à bras que nous transportions les restes humains.(Collection Vincart)

Moi j’apportais les blessés à l’hôpital Ste Elisabeth. Les couloirs étaient remplis de blessés. On allait jusque là avec une camionnette au gaz qui avait été réquisitionnée. Il n’y avait aucune organisation vu la manière donc ça nous est tombé dessus.

Il y a eu des personnes projetées sur la Citadelle. Il y a même eu une personne projetée sur un toit près de l’ancienne poste au coin de la rue Julie Billart. La personne était littéralement liquéfiée, nous ne pouvions même pas la prendre directement, on a du l’emballer dans une couverture.

Voici l’ancienne poste située au coin de la rue Julie Billart et de la Place d’Armes. La rue de la Tour n’existait pas à l’époque. (Photo Piron)
Voici l’ancienne poste située au coin de la rue Julie Billart et de la Place d’Armes. La rue de la Tour n’existait pas à l’époque. (Photo Piron)

On a repêché le cadavre d’un enfant dans la Sambre, il avait un morceau de crâne arraché et un bout de cervelle pendait. Vous ne pouvez pas imaginer tout ce que j’ai vu du fait que j’ai été réquisitionné…

Par après on a su que les Américains visaient le pont de Luxembourg. Plus tard cette année-là, les alliés étaient déjà là et la sirène a encore une fois retentit. Nous avons eu peur et cette fois nous nous étions cachés à la cave. Il y a eu une bombe, une seule. Elle a touché le pont de Luxembourg.

En 1940, un bombardement allemand touchait la rue Borgnet, où j’habite maintenant et quasi tous les bâtiments de la rue étaient touchés. Ce bombardement plus ciblé visait la gare et une seule bombe l’a touché. Je ne me souviens pas d’avoir vu des morts, c’était le premier bombardement que je voyais.


Lilianne Daix-Crousse

16 ans à l'époque

Une photo de moi à l’époque
Une photo de moi à l’époque

Au moment du bombardement j’habitais à Auvelais. Au matin j’avais été à l’école à Namur. L’école était Rue St-Nicolas au numéro 4. Et à cette époque je travaillais aussi à la ‘Confiserie Aduatic’ de la famille Herman, elle était située Avenue Albert 1er, après l’hôpital St-Camille, l’actuel CHR. Je faisais notamment des colis pour les prisonniers, et je travaillais là cet après-midi du vendredi 18 août 1944.

Lorsque j’ai entendu l’alarme j’étais rue de Fer, en train de rentrer pour prendre le tram. Je me suis alors dépêchée et j’ai pris le petit passage à côté de l’Église St-Joseph. La galerie St-Joseph n’existait pas encore à l’époque. Arrivée rue St-Joseph les bombardements commençaient, je me suis couchée par terre. J’ai suivi les conseils de mon papa, décédé en 1943. Il m’avait dit de toujours me cacher contre une façade s’il devait y avoir un bombardement. Je me suis protégée en mettant mon cartable sur le dos. Il y avait dedans une sacoche en bois, avec mon porte-monnaie, mon abonnement… je pense qu’elle m’a en partie protégé.

Je m’étais cachée près d’un antiquaire. Avec la déflagration, sa vitrine a totalement explosé. Il y avait un soupirail à côté, une personne l’a ouverte et m’a dit: ‘Laisse-toi glisser Fifille! Laisse-toi glisser!’. Mais je n’ai pas voulu, j’avais peur, j’ai préféré écouter le conseil de mon papa et rester par terre.

Quand le bombardement s’est terminé j’ai été rejoindre mon amie Flora chez son fiancé qui habitait rue Haute-Marcelle, à hauteur du magasin Oxfam actuellement. Flora était une très bonne amie et nous rentrions toujours ensemble à Auvelais. En marchant pour la retrouver, dans une maison juste à côté, un monsieur a été projeté dans des bouteilles de vinaigre. Il a non seulement été blessé à cause des bris de verre mais en plus tout le vinaigre est rentré dans ses plaies. Il criait si fort! Les gens lui jetaient de l’eau dessus pour essayer de faire partir le vinaigre.

Flora était bien chez son fiancé. Là je me suis plaint car ça me grattait dans le dos. La maman du fiancé de Flora s’est alors rendu compte que j’avais plein de morceaux de verre. Elle a alors pris la peine de tous les retirer un par un.

Voici une photo de mon amie Flora dans ces années-là.
Voici une photo de mon amie Flora dans ces années-là.

Nous devions rentrer à Auvelais, mais évidemment il n’y avait plus aucun tram. Nous avons donc décidé d’y aller à pied! Nous avons marché jusqu’aux hauteurs de Belgrade puis vers Temploux, là-bas une voiture s’est arrêtée pour nous demander où nous allions, il était sidéré que nous allions jusqu’Auvelais. La voiture était déjà remplie mais il nous a forcé à embarquer sur le véhicule en montant sur le marchepied. Nous sommes descendues près de Spy à Onoz, près du château d’eau. C’est là où nous laissions nos vélos. Là, la personne chez qui nous les laissions s’est écriée: ‘Qu’est-ce que vous avez foutu? Est-ce que vous vous êtes regardées?!’. La réponse fut simple: ‘Non’. Nous étions toutes noires, pleines de poussière évidemment.

Nous avons récupéré nos vélos. En route nous sommes passés devant la maison d’une amie, Andrée Roussel. Elle avait 22 ans, un peu plus âgée que nous. Nous avons vu son papa assis sur le bas de la porte. Son papa n’avait pas eu de nouvelle d’Andrée et nous non plus n’en avions pas à lui donner. Nous ne nous sommes pas tracassées car Andrée prenait souvent le tram avant nous. Nous avons ensuite vite continué notre route pour ne pas nous faire disputer comme nous rentrions très tard, il allait sans doute être bientôt 22 heures…

Mais au fait, en remontant la rue de Fer avec Flora, nous sommes passés devant Andrée sans le savoir. Quelqu’un nous a apostrophées en disant qu’il y avait quelqu’un que nous connaissions sous le tram. Nous n’avions pas saisis ce qu’il nous voulait et de quoi il nous parlait. Plus tard seulement nous avons compris qu’il s’agissait de notre amie. Andrée n’a pas survécu…

C’est sous ce tram retourné qu’était notre amie Flora… (Collection CREHSGM)
C’est sous ce tram retourné qu’était notre amie Flora… (Collection CREHSGM)

La maison de Flora était située avant la mienne et nous sommes donc d’abord passées chez elle. Ma maman était là aussi. Elles ont été si soulagées de nous voir arriver au bas de la rue. C’est le grand-père de Flora qui avait expliqué à nos deux mamans que Namur avait été bombardé. Elles étaient mortes d’inquiétude. Évidemment nous ne nous sommes pas faites gronder à cause de notre retour tardif.

Par contre, lorsque j’ai vu ma maman la première chose à laquelle j’ai pensé est qu’elle allait me disputer à cause de ma gabardine. Celle-ci avait appartenu à mon père, ma mère l’avait travaillée pour que je puisse à mon tour la porter. Tout le dos était plein de sang, j’avais vu une personne blessée courir dans la rue St-Joseph, je pense qu’il s’agissait de son sang. Quoi qu’il en soit on n’a jamais su ravoir la gabardine de mon papa, c’était la dernière fois que je la mettais.

Le lendemain, nous sommes retournées à Namur pour récupérer nos affaires. Nos mères étaient bien entendu inquiètes et ne voulaient pas que l’on traîne sur la route. Le lendemain il y avait énormément de personnes qui étaient en train de déblayer. Namur était en ruines!

Quand je vois ce qu’il se passe encore à l’heure actuelle… Je ne comprends honnêtement pas comment on peut encore bombarder et tuer des innocents ou des personnes que l’on ne connaît pas. Je me fais du mauvais sang en pensant à ça. Mais j’essaie de penser à ce que mon mari Roger me disait: ‘Ne t’énerve pas, ils ne t’entendent quand même pas!’.

Moi, à l’heure actuelle
Moi, à l’heure actuelle

Frère Jacques Roland

17 ans à l'époque

Moi je n’étais pas là au moment du bombardement. J’habitais St-Servais, rue de l’Industrie. J’étais élève en humanité générale à l’Institut St-Aubain. C’est d’ailleurs dans les bâtiments de cet Institut où ont été entreposés tous les cadavres et débris humains après le bombardement. Evidemment l’école a dû être désinfectée avant la rentrée.

Le vicaire de la paroisse de St-Servais Ste-Croix, l’Abbé Albert Wanet, avait organisé une manière de procédé, pour le cas où il y aurait eu un bombardement à St-Servais, avec un médecin, Monsieur Riou ainsi qu’un architecte.

La paroisse nous a contactés le lendemain du bombardement pour aller déblayer à Namur. Pour ne pas être embêtés par les Allemands nous portions un brassard avec l’Aigle. Certains trouvaient cela assez vexant mais il fallait bien... Nous avons été à l’hospice d’Harscamp, il y a eu 18 patients qui sont morts. Nous étions juste là pour déblayer, nous ne nous occupions que des débris, les victimes étaient déjà dégagées et les blessés soignés. C’était très fatiguant, il faisait très chaud ce mois d’août-là.

En train de déblayer à l’Hospice d’Harscamp.
En train de déblayer à l’Hospice d’Harscamp.

Sur cette photo que j’ai achetée chez le photographe Lemaire de la rue des Croisiers, vous me voyez en train de ramasser des débris, c’est moi qui suis accroupi. Je suis accompagné de l’Abbé Gérard Thierry, Georges Galand et Louis Noël, trois séminaristes. Ils avaient emprunté un treuil à l’entrepreneur M. Davreux, afin de pouvoir déplacer les gros morceaux de débris.

Pendant que nous déblayions il y a encore eu des alertes, mais heureusement aucune bombe. Pendant ces alertes nous nous réfugiions dans la cave de l’Église Notre-Dame.

Puis le mardi nous nous sommes rendus au Foyer Namurois, rue des Brasseurs… Nous devions, entre autre, rechercher une caisse avec de l’argent, mais nous ne l’avons jamais retrouvée. En déblayant nous jetions tout dans la Sambre… on ne ferait plus ça maintenant! À un moment, une des personnes soulève quelque chose et dit : ‘Tiens une poupée!’. Mais il ne s’agissait pas d’une poupée, c’était au fait un cadavre de bébé. Quelle horreur! Nous avons fait bien attention à la dépouille de ce petit.

Le bâtiment du Foyer Namurois, totalement éventré. (Collection Chaffoy)
Le bâtiment du Foyer Namurois, totalement éventré. (Collection Chaffoy)

On devait avoir une gousse d’ail dans la bouche pour se protéger des microbes. C’était vraiment désagréable. Je ne sais pas si ça marchait, mais dans tous les cas c’est la seule protection qu’on avait.

Il y a un élève de ma classe qui est mort pendant le bombardement. C’était Étienne Jaumotte, il était rue Bas de la Place et il est mort avec ses frères et sœurs, mais ses parents ont survécu. Je ne savais pas que son père s’était suicidé peu de temps après. Mme Simon, qui était épicière rue Émile Cuvelier était la mère d’une amie de ma sœur, je la connaissais bien, elle aussi est décédée… Comme c’était la marraine d’un collègue frère, nous avons souvent parlé de Mme Simon et de sa mort tragique.

Puis le mercredi nous nous sommes occupés des enterrements, il y avait du personnel donc on n’a pas eu beaucoup besoin de nous. Nous devions donner un coup de main pour déblayer le chemin vers le cimetière. De l’institut St-Aubain il y a eu un cortège allant jusqu’au cimetière de Namur. Les cercueils étaient sur des camions. Il y a eu une grande tranchée pour faire une tombe commune. La mère de mon ami Étienne était en pleurs…

Le cortège est ici à hauteur du parc Marie-Louise, au coin avec la rue de Bruxelles. (Collection Chapelle)
Le cortège est ici à hauteur du parc Marie-Louise, au coin avec la rue de Bruxelles. (Collection Chapelle)

Les Namurois ont été très mécontents de ce bombardement américain, car aucun pont n’a été touché alors que c’était l’objectif de cette mission. Surtout que quelques mois plus tard, avec une seule bombe le pont du Luxembourg aura été détruit…


Voici plus d’informations sur l’Hospice d’Harscamp, il s’agit d’un extrait du site harscamp.be

Dans le procès-verbal présenté à l’assemblée générale du 15 mai 1945, par la Commission d’Assistance publique, on peut lire la relation suivante:

Le 18 août 1944, vers 18 h., la ville de Namur fut l’objectif d’un intense bombardement aérien, dont elle devait sortir amputée d’un tiers de ses immeubles et endeuillées par de nombreuses victimes.

L’hospice d’Harscamp, malheureusement, n’échappa pas à cette catastrophe. Des bombes tombèrent en plein sur l’infirmerie, anéantissant complètement cette aile de l’immeuble et, par les déflagrations, endommagèrent gravement le bâtiment d’entrée et ébranlèrent le surplus de l’établissement. Une trentaine de personnes devaient trouver à l’Hospice une mort tragique. Parmi ces victimes, nous devons déplorer le décès de Mr le Baron de Thysebaert, membre éminent de cette assemblée, dont le dévouement à la Fondation fut inlassable, et des Révérendes Sœurs Marie des Anges et Marie-Justine, de la congrégation des Sœurs de la Charité, surprises subitement par la mort dans l’accomplissement de leur devoir, avec 21 pensionnaires se trouvant dans les bâtiments de l’infirmerie ; deux de leurs consœurs, les Révérendes Sœurs Marie-Madeleine et St-Bernard, respectivement Supérieures de l’Institut St-Camille et de l’annexe St-Jacques, en visite à l’Hospice, furent également tuées, à la sortie de la chapelle.

Le 21 août, à 10 h., en l’église Notre-Dame, un service fut célébré pour les victimes de l’hospice d’Harscamp. Dans ce chaos indescriptible, l’hospice d’Harscamp étant devenu quasi inhabitable, il faut faire face à des problèmes multiples, dont l’un des premiers est de reloger provisoirement la septantaine de pensionnaires rescapés. Le couvent des Rédemptoristes, rue Godefroid, est d’abord proposé, puis rejeté car situé trop près de la gare, cible potentielle pour de futurs bombardements. Par contre, le château de Franc-Waret, situé à la campagne entre Namur et Forville, est inoccupé. De plus il appartient à la famille d’Andigné, descendant du comte d’Harscamp. Dès le 27 août, avec l’accord du régisseur M. Collignon, les pensionnaires sont évacués au château, où ils demeureront au moins jusqu’au début novembre 1944.

Mais que faire ensuite de l’ancien Harscamp? Dès le 23 août 1944, la Commission propose de confier à l’architecte Thomé de Namur, qui était déjà intervenu en mai 1940, l’élaboration du dossier à introduire pour obtenir l’intervention du fonds des dommages de guerre. Le 15 septembre, la Commission est toujours encline à remettre les bâtiments en état avant l’hiver. Des réserves seront néanmoins émises par les pouvoirs publics sur certains travaux à exécuter. Le 6 novembre 1944, l’avantage qu’il y aurait à vendre l’emplacement de l’hospice pour y construire à la place un nouvel hôpital est clairement exposé aux membres de la Commission. Suite au prochain chapitre...

Le bombardement occasionne également des dégâts très importants aux quatre magasins de la rue Emile Cuvelier qui sont rendus inhabitables sauf un. Les travaux rondement menés permettent cependant de les relouer dès l’année suivante.


Mariette Delahaut

22 ans à l'époque

Au moment du bombardement, je suivais des cours d’ambulancière qui avaient lieu entre 16h et 18h. Il n’y avait quasi que des filles qui suivaient cette formation. Nous suivions les cours à la Croix Rouge, qui à l’époque était à l’Hôtel Gaiffier d’Hestroy, rue de Fer, où il y a un musée maintenant. Ce bâtiment n’a eu cette fonction que durant la guerre.

Nous étions habitués aux avions américains qui passaient pour aller vers l’Allemagne, nous savions bien qu’ils ne nous bombarderaient pas. Cela ne nous venait même pas à l’esprit de nous cacher à la cave. À vrai dire, je ne me rappelle même plus qu’il y ait eu une alerte. Directement après avoir entendu le bombardement, nous sommes sortis et nous avons vu la ville bombardée. Nous étions directement ‘dans le bain’ et ce n’est pas à ce moment-là que j’ai pu me rendre compte de l’ampleur du bombardement.

En tant qu’ambulancières, nous avons été mobilisées tout de suite. En plus nous étions directement à la Croix Rouge. Notre première mission était de s’occuper les blessés qui étaient dans les alentours.

Lorsque la Ville s’est rendu compte qu’il y avait tant de morts, elle a décidé de commun accord avec la Croix Rouge d’établir la morgue à l’Institut St Aubain de la rue de Bruxelles, où il y a les Facultés actuellement. Comme c’est l’État Civil qui s’occupe de comptabiliser les morts c’est elle qui gérait le dispositif. Nous à la Croix Rouge nous nous occupions du service, et les pères jésuites eux s’occupaient de l’aumônerie. C’était le père Delpierre qui faisait les bénédictions pour tous les morts.

L’Institut St-Aubain, où j’étais en poste pour m’occuper de l’ensevelissement des défunts. (Photo Piron)
L’Institut St-Aubain, où j’étais en poste pour m’occuper de l’ensevelissement des défunts. (Photo Piron)

J’ai donc été affecté à la morgue et à l’ensevelissement des morts. Notre rôle était de reconditionné les victimes et de les mettre dans les cercueils. Le premier tué que l’on nous a amené été un noyé. Il était 10 heures du soir, il y avait un orage violent qui éclata, des éclairs, pas de lumières puisque la ville bombardée n’avait plus d’électricité, nous avions juste 4 bougies. Je n’avais que 22 ans à l’époque mais je vivrai toute ma vie en voyant cette scène digne d’un film d’horreur. C’était mon premier ensevelissement. Je n’avais jamais dû manipuler un mort auparavant.

Ce 18 août au soir, vers 23 heures, l’heure du couvre-feu, mon frère est venu me chercher pour me ramener chez moi. J’habitais rue de la Pépinière. Mon frère lui a participé aux déblaiements bénévolement.

Les jours suivants on a enseveli et mis en bière de très nombreuses personnes. Quand il n’y avait plus de cercueils, ils ont été construits sur place: des petits cercueils sommaires sous forme de caisse. Il y avait toujours un officier d’état civil qui était présent pour constater les décès.

On a accumulé les corps durant des jours et plus tard il y a eu un enterrement officiel collectif. Les déblaiements ont duré des semaines, nous n’avons pas reçu tous les morts en même temps. Il faut bien penser qu’à l’époque nous n’avions pas de bulldozer, tout était fait à la main. Vers la fin des déblaiements, les gens partaient avec des cercueils pour ne pas que les gens voient les cadavres.

Il arrivait que les scouts qui nous apportaient les cercueils nous mettent en garde: ‘Attention, il ne reste pas grand-chose…’. J’hésite à vous dire ceci tant l’image est terrible… une fois quand on nous a dit ceci, les restes en question étaient le bras d’une dame qui tenait par la main le bras de son enfant. Et rien de plus.

Heureusement, nous n’avons pas eu de victimes dans notre famille, ni de connaissances ou d’amis. Je ne veux pas blâmer les Américains pour cela, je sais qu’ils visaient le pont du Luxembourg dans le but de nuire à l’armée allemande qui nous occupait depuis plus de 4 ans. Nous avons vécu des horreurs ce 18 août 1944, mais au moins en septembre nous étions libérés, et cela nous le devons en partie aux Américains!

Une photo de moi.
Une photo de moi.

Claude Saucin

1an et demi à l’époque

À l’époque nous habitions rue de Fer. Ma tante tenait un café qui s’appelait la Vigne et c’est là que nous habitions. Le café était situé au coin de la rue de Fer et de l’Impasse de l’Hôpital Militaire, où maintenant il y a l’Esplanade de l’Hôtel de Ville. Le café était situé plus ou moins où il y a le Ici Paris XL aujourd’hui.

Mon papa était civil mais il travaillait pour la résistance armée. Par prudence, nous vivions dans la cave: à 4, avec mes parents, qui avaient tous les deux 32 ans, et mon grand-frère, qui avait 5 ans de plus que moi.

Une photo de mon père résistant, il s’occupait notamment de dresser des chiens.
Une photo de mon père résistant, il s’occupait notamment de dresser des chiens.

Ce jour-là mon papa devait prendre le train pour aller prendre des ordres à Bruxelles. Ma tante, lui a dit de ne pas aller à la gare car il y avait des Allemands. Il a quand même été voir, lorsqu’il a vu tous les Allemands il a donc préféré rebrousser chemin. Il est alors retourné dans la cave du café la Vigne.

Ensuite vers 18h, ont commencé les alertes. Ma maman, mon grand-frère et moi sommes restés dans la cave. Mon père par contre a préféré sortir pour voir ce qu’il se passait car il entendait des gens paniquer ainsi que des bruits étranges. Il s’est avancé vers le début de la rue de Fer, et c’est à ce moment-là que les bombes ont commencé à pleuvoir.

On voit bien ici le café La Vigne dévasté, c’est le bâtiment sur le coin de la rue. (Photo Piron)
On voit bien ici le café La Vigne dévasté, c’est le bâtiment sur le coin de la rue. (Photo Piron)

Mon père a été tué par ces bombes. Nous ne le savions évidemment pas, nous sommes restés cachés dans la cave. L’immeuble où nous étions a été lourdement touché, heureusement comme c’était de grosses caves voûtées, celles-ci nous ont protégés. Je ne sais pas si des personnes ont été tuées dans l’immeuble mais cela ne m’étonnerait pas. Notre tante était descendue avec nous et est restée indemne.

Plusieurs heures plus tard, le frère de ma maman est alors venu nous expliquer tout ce qui s’était passé dehors. Il nous a alors expliqué que l’on prenait des corps afin de les amener à l’Institut St-Aubain, qui était la morgue improvisée suite à cette tragédie.

Il a alors décidé de se rendre là afin de voir si l’on pouvait reconnaître mon papa. En passant dans le couloir il a vu des souliers vernis noirs qui dépassaient d’un drap. Mon papa portait toujours ce genre de soulier. Il a alors demandé à voir qui était sous le drap, et en effet, il s’agissait bien de lui.

Mon papa n’était pas recherché par les Allemands, il a donc pu être reconnu par l’Officier de l’État Civil. Mais par contre, comme il était résistant il fallait faire attention aux papiers confidentiels qu’il portait sur lui et c’est de cela qu’il se méfiait toujours. Il a donc retiré les papiers que mon papa portait sur lui. Il est ensuite retourné près de ma maman pour lui expliquer. Elle était effondrée. Plus tard il a dû remettre les papiers de mon papa au commandement à Bruxelles.

Comme le bâtiment où nous étions était détruit, nous sommes partis vivre à Bruxelles, où j’avais encore mes grands-parents paternels. Nous nous sommes installés avec eux. Il a fallu plusieurs années avant que nous retournions vivre à Namur.

Mon père avait donc redoublé de malchance. S’il était parti à Bruxelles, il n’aurait peut-être rien eu. S’il était resté à la cave, il n’aurait sans doute rien eu non plus. Et c’est ainsi qu’un résistant est mort quelques semaines avant la libération de sa ville. Sur le moment personne n’avait pu penser que c’était les Américains qui avaient bombardé. Les gens ne comprenaient pas d’où venait ce bombardement. Il n’a pas fallu longtemps avant que l’on apprenne que c’était le pont du Luxembourg qui était à la base visé. Ils se sont fameusement trompés…

Mon père a reçu plusieurs distinctions à titre posthume: la Croix de Guerre, des décorations de l’armée, une carte de prisonnier entre autres… Il a fait pas mal de choses pendant la guerre, il a notamment dressé des chiens, mais il a surtout aidé à faire sauter plusieurs installations allemandes, notamment à la gare de Ronet.

La carte de prisonnier que mon père a reçu à titre posthume.
La carte de prisonnier que mon père a reçu à titre posthume.

Depuis on a attribué une rue et un carrefour qui portent le nom de mon papa. C’est la rue Saucin et le carrefour Saucin qui sont situés à Gembloux. Pour l’anecdote, les Allemands voulaient attaquer un village et devaient passer par la gare de Ronet. Mon père, avec d’autres, a saboté les rails et les Allemands ont dû faire un détour et sont passés par cette rue qui porte le nom de mon père désormais.

Une photo de moi actuellement.
Une photo de moi actuellement.

Rosine Brumagne

18 ans à l'époque

Une photo de moi à l’époque, je suis à droite avec le manteau à motif.
Une photo de moi à l’époque, je suis à droite avec le manteau à motif.

Pendant la guerre, j’habitais chez mes parents au n°3 de la rue Henri Blès à Salzinnes. Le 18 août 1944 ma journée de vendeuse à la Pâtisserie Preudhomme située rue de Fer à Namur se termine, il est environ 18h.La pâtisserie a ensuite été remplacée par la pâtisserie Dumont, où il y a actuellement le Planet Parfum.

J’étais sur le trottoir devant la pâtisserie quand j’ai entendu l’alerte. Inconsciente du danger je voulais regarder les avions. Mais, en repensant à ce que ma mère m’a dit, j’ai préféré rentrer dans la boutique et c’est alors que je perçois les bruits d’un bombardement qui me semble très proche. Je me suis alors couchée par terre dans le magasin comme ma mère m'avait dit de le faire en cas de bombardement.

Quand je quitte la boutique, je vois des cadavres rue de Fer, c’est la première fois de ma vie que j’en vois. C’était effroyable!

Voici l’état de la rue de Fer, tout près de ma boutique. (Photo L. Gabriel)
Voici l’état de la rue de Fer, tout près de ma boutique. (Photo L. Gabriel)

Dans la rue de Fer, un peu plus haut que Preudhomme, il y avait le grand garage automobile Ford, actuellement le ‘Parking du Centre’. C'est à cet endroit que Monsieur Valair et son jeune fils de 5 ans furent tués pour avoir voulu regarder les avions. Monsieur Valère était chef comptable à la société chimique Analis, alors rue Dewez, mais surtout il fut mon professeur de sténographie.

Mon père, averti du bombardement au centre de Namur, est parti de Salzinnes pour venir me rechercher. Sur le trajet, des gens disaient que la rue de Fer ‘était à plat’. Imaginez son angoisse en avançant vers la ville! Mais heureusement, même si la rue de Fer était pleine de gravats avec de si nombreux cadavres au sol, moi je n’avais rien eu…

Rentrée à la maison, j’apprends qu’une cousine germaine de Maman la réclame dans un hôpital de Namur.

C’est Jeanne Lhoir, épouse Jaumotte. Elle habite rue Bas de la Place. Au rez-de chaussée, se trouve la cordonnerie de son mari, Raymond. Le couple et ses quatre enfants vivent dans les étages. Alors que l’alerte retentit, les enfants descendent des étages pour se rendre à l’abri. La mère sert un client dans le commerce. Les quatre enfants l’attendent sur le trottoir.

Les 4 petits Jaumotte, ils avaient entre 5 et 15 ans…
Les 4 petits Jaumotte, ils avaient entre 5 et 15 ans…

Eugène, Christiane, Antoine et Georges ne survivront pas. La maison est sinistrée, mais les parents sont indemnes. Le papa a eu une petite cabane sur la place d'Armes pour poursuivre son métier après la destruction de son immeuble. Suite au drame de la mort des enfants, il y refusait obstinément de servir les soldats américains, ou même de réparer les souliers d’origine américaine! Six années plus tard le papa se suicidera de chagrin: il s’est pendu. Et c’est ainsi qu’une petite famille fut quasi entièrement décimée, par un bombardement qui ne dura que quelques instants. Tante Jeanne a encore vécu de très nombreuses années.

Les enfants furent d’abord enterrés dans la sépulture commune, faite les jours suivant le bombardement. En septembre 46, les corps de petites victimes seront transférés dans une sépulture « Jaumotte-Lhoir » où ils seront rejoints par leur papa et d’autres membres de la famille. Ce monument mortuaire très coûteux a été érigé, aux frais des parents, au Cimetière de Belgrade.

La prière qui avait faite pour les enfants Jaumotte.
La prière qui avait faite pour les enfants Jaumotte.

Monique Gustin

7 ans à l’époque

Mon père était le concierge de l’hôtel de Ville à partir du début des années 40 et jusqu’en 1976. Nous vivions donc à 4, avec ma sœur, mon papa Victor et ma maman Marie-Lucienne au sous-sol de l’hôtel de Ville. À l’époque il n’y avait que la vieille partie de l’hôtel de Ville, c’est-à-dire l’immeuble à gauche du cinéma. Je me rappelle que de notre sous-sol on entendait très bien les bottes des Allemands quand ils passaient, cela me faisait fort peur quand je les entendais.

Maman a entendu les avions qui passaient pendant le bombardement du 18 août. Elle a dit à ma sœur et à moi de me cacher sous la table. Ce que nous avons fait. Et elle pendant ce temps-là cherchait après mon papa. Alors qu’elle essayait de le trouver, la bombe de 500 kilos est tombée sur le toit de l’Hôtel de Ville. Il y avait eu beaucoup d’alertes avant ce bombardement, nous nous cachions souvent dans les caves.

L’hôtel de ville transpercé par la bombe. Tout était détruit, y compris le sous-sol où nous habitions. (Collection Jean Falmagne)
L’hôtel de ville transpercé par la bombe. Tout était détruit, y compris le sous-sol où nous habitions. (Collection Jean Falmagne)

Nous sommes restés longtemps en-dessous de la table. Je pense même que nous avons perdu conscience pendant un moment. Il a fallu quelques heures avant que l’on vienne nous secourir, il faisait déjà nuit. Ma sœur et moi n’avons rien eu, quelques égratignures tout au plus. Heureusement que nous avions écouté notre maman car sinon nous ne serions sans doute plus là aujourd’hui.

Par contre ma Maman a eu moins de chance. Elle a été retrouvée inconsciente, tout le monde croyait qu’elle allait mourir. Elle avait de nombreuses fractures au crâne. Elle a tout de suite été emmenée à la clinique pour être opérée.

Nous nous avons été recueillis à l’Ilon St-Jacques où il y avait des religieuses à l’époque. À ce moment-là nous ne comprenions pas ce qu’il se passait. Nous savions tout de même que notre maman était à la clinique, mais nous ne savions pas ce qu’elle avait. Nous n’avons jamais pu la voir avant qu’elle ne sorte, tant elle était en mauvais point. Elle est restée là au moins plusieurs semaines.

Quant à mon papa, nous ne l’avons vu que très longtemps après le bombardement. Au fait, à ce moment-là mon papa était caché car il était résistant. Il menait des actions avec Monsieur Gillet au sein de l’hôtel de Ville. Il avait entre autre fourni des faux-papiers, des fausses cartes d’identité, et il donnait des timbres de ravitaillement lorsqu’il savait en avoir. Mon papa nous a cherché un petit temps avant de savoir que nous étions hébergés à l’Ilon St-Jacques. Il est ensuite resté avec nous à l’Ilon, où il continuait ses actions de résistances.

Voici une photo de mon papa sur sa carte d’état de services.
Voici une photo de mon papa sur sa carte d’état de services.

Tout l’intérieur de l’hôtel de Ville était détruit, nous n’avions plus rien. Avec le souffle de la bombe, tout était brûlé, nous n’avions plus de vêtements, plus de jouets, tout était détruit. Il n’y a pas que notre appartement qui avait été détruit mais tous les étages. La bombe a traversé le toit et tout l’hôtel de Ville. Quand ma Maman est sortie de l’hôpital nous avons alors vécut chez mon frère, à St-Marc.

Voici une lettre que mon papa a écrite pour demander de l’aide après le bombardement.
Voici une lettre que mon papa a écrite pour demander de l’aide après le bombardement.

Une fois l’hôtel de Ville reconstruit, nous sommes retournés y vivre, mais plus dans les caves, nous avions notre appartement dans une prolongation du bâtiment derrière. Pendant les travaux, mon Papa continuait à venir y travailler en journée. C’est fou car quand voit l’hôtel de Ville maintenant, on dirait qu’il n’y a jamais rien eu. Il a vraiment été bien reconstruit.

Quand mon papa a été pensionné, il a acheté une maison rue Salzinne-les-Moulins. C’est une maison qui elle aussi a été touchée par un bombardement, qui visait le dépôt des trains juste de l’autre côté de la Sambre. Je ne sais pas s’il l’a fait exprès ou pas, mais en tout cas il a pris beaucoup de plaisir à la retaper.

Maman a eu des séquelles toute sa vie de ce bombardement. Elle a vécu jusqu’à 85 ans avec ses douleurs dans la tête et de très forts problèmes de circulation.

La sœur de ma Maman a été tuée à Flawinne lors d’un autre bombardement américain qui visait Ronet. Il a eu lieu le dimanche 23 avril. Son mari à l’époque était déporté en Allemagne. Il avait donc perdu sa femme et sa maison, heureusement leur fils a survécu. Nous n’avons eu personne d’autres dans la famille qui ait été victime du bombardement.

Quand les Américains sont arrivés, ils distribuaient des chocolats et des cigarettes mais malgré cela, ils n’ont pas été si bien accueillis que ça à cause de ce bombardement.

Une photo de moi, derrière une dinanderie réalisée par mon père.
Une photo de moi, derrière une dinanderie réalisée par mon père.

Marcelle Zuttermans

10 ans à l'époque

À l’époque j’habitais rue de Gravière au n°8, tout près de la place l’Ilon et de l’Hospice d’Harscamp. Lorsque j’avais entendu l’alerte, je me suis rendue seule à l’abri qui se trouvait sous l’infirmerie de l’Hospice. Mon papa ne voulait pas allé à l’abri. Il avait participé à la guerre de 14-18 et il était revenu blessé. Du coup il disait que s’il devait mourir, ce que cela devait se passer ainsi… La précédente guerre l’avait traumatisé et très affecté physiquement. Du fait que mon papa était fort malade, ma maman ne voulait pas le laisser tout seul, elle restait avec lui.

Quand les bombes sont tombées, la lumière de la cave s’est éteinte et le sable des sacs qui protégeaient les soupiraux a envahi l’abri. J’étais dans l’obscurité, des gens criaient de tous les côtés et il n’y avait personne à qui je pouvais me raccrocher.

À la fin de l’alerte, on a dégagé la sortie des débris qui l’obstruaient. Le corps d’une religieuse gisait à l’extérieur dans les gravats. Peut-être a-t-elle essayé d’arriver à la cave et n’a-t-elle pas réussi? L’Hospice d’Harscamp a été littéralement rasé, il y a eu énormément de morts là. Pour sortir des caves il a fallu attendre à peu près une bonne heure, afin que ce soit dégagé. En sortant, j’ai vu que tout était détruit. Tout, dont ma maison où mes parents étaient restés...

C’est de ces gravats de l’Hospice d’Harscamp que nous avons étés secourus. (Collection Marcel Wautelet)
C’est de ces gravats de l’Hospice d’Harscamp que nous avons étés secourus. (Collection Marcel Wautelet)

Il ne restait plus rien de la rue de Gravière, ni de la rue Julie Billart ou encore de la rue Bas de la Place. Je me rappelle bien de l’histoire des enfants Jaumotte, je jouais souvent avec eux… Les quatre enfants de cette famille sont morts. Je sais que la maman a eu beaucoup de difficultés à endurer le choc, et après le papa s’est suicidé. D’une manière surprenante, la porte de l’ancien refuge de l’abbaye de Floreffe située à quelques mètres de ma maison est restée debout, parmi tous les gravats. Peut-être que la pierre de taille de bonne qualité a aidé la porte à rester droite. Je me rappelle qu’à côté de la porte il y avait une épicerie qui elle aussi a été détruite. C’est là où nous faisions nos courses, avec nos cartes et nos timbres de rationnement.

Voici les gravats de la rue de Gravière, il ne restait rien. (Photo L. Gabriel)
Voici les gravats de la rue de Gravière, il ne restait rien. (Photo L. Gabriel)

Un de mes cousins, qui habitait dans les environs, était près de l’abri et m’a emmenée chez lui. On m’a dit que mes parents étaient en vie, qu’ils étaient dans la cave et qu’on avait pu leur parler ; ce n’était pas vrai. On m’a sans doute dit ça pour me protéger, les gens se doutaient qu’ils étaient morts, mais on me disait qu’on avait parlé avec eux pour ne pas m’inquiéter…

Leurs corps ont été dégagés cinq jours plus tard. Les personnes qui s’occupaient des indentifications m’ont demandé comment maman était habillée car j’étais la dernière à l’avoir vue… Ma maman, qui s’appelait Marguerite avait 41 ans, et mon papa Joseph avait 47 ans. En quelques secondes, je n’avais plus de parents, plus de maison, plus rien. Il fallait tout recommencer à zéro. La perte des parents est toujours douloureuse, mais peut-être encore plus quand on a 10 ans, et qu’il n’y a rien qui puisse justifier leur mort tragique.

Ma sœur qui avait 17 ans travaillait, depuis 15 jours au grand magasin Sarma, situé rue de l’Ange. À 18 heures le directeur ne l’a pas laissée sortir parce que des avions tournaient au-dessus de la ville. Si elle était rentrée à la maison, elle aurait aussi été tuée. Après le passage chez mon cousin, j’ai vécu chez un frère de ma mère jusque quand j’ai été mariée, tandis que ma sœur a vécu avec son parrain. Mon frère lui avait été déporté en Allemagne. Cela lui a valu d’avoir la vie sauve car, comme mes parents, il n’allait jamais à l’abri.

Un cousin de mon papa qui s’appelait comme lui, Joseph Zuttermans, a été tué aussi pendant le bombardement… Il habitait au Foyer Namurois, le long de la rue des Brasseurs. Ce bâtiment a été bombardé. D’ailleurs le fait qu’ils portaient le même nom a créé quelques confusions au cimetière.

Quand il y a du tonnerre maintenant, je pense toujours au bruit du bombardement. Cela vous fera sans doute sourire mais mon cœur s’emballe vraiment lorsqu’il tonne fort sur ma maison. J’oublierai peut-être ce que j’ai mangé hier, mais ce 18 août 44, je m’en rappellerai toute ma vie!


Marie-Jeanne Terwagne

10 ans à l'époque

Moi j’habitais rue du Tan en 1944. C’est une petite rue qui est perpendiculaire à la rue St-Nicolas. Les deux blocs d’habitations qui étaient là ont été détruits pour construire un immeuble moderne et un parking, en face du pont des Ardennes.

Ma sœur et moi nous étions à Hastière, on ne voulait pas y aller mais ma mère nous a envoyées là-bas pour nous protéger de la guerre. Mes parents étaient restés rue du Tan. Pendant le bombardement ils se sont couchés sous la table ensemble. La mère de mon père qui vivait à l’étage est descendue juste après le bombardement. Elle a vu mon père Adolphe qui saignait un peu à la tête et cria: ‘Mon Dieu ‘Dolf, t’es mwart?’. Mon père lui a répondu que non et lui a dit de vite se cacher avec eux. Heureusement mes parents et grands-parents paternels n’ont rien eu. La maison a eu juste des éclats dans les briques. Mon père a bien reçu quelques morceaux de plâtras dans la tête qui l’ont fait saigner mais c’est tout. Quelques jours après le bombardement mon père est revenu nous chercher à pieds jusqu’à Hastière.

Ma grand-mère maternelle, qui s’appelait Sidonie et avait 63 ans a elle été tuée par contre. Elle habitait au n° 35 de la rue Jean-Baptiste Brabant dans le pâté d’habitations au coin avec la rue St-Nicolas. Pendant ce temps là mon grand-père était à la campagne pour aller chercher des pommes de terre. Quand il est revenu il n’avait plus de femme, plus de maison, plus rien sauf ses pommes de terre; tout le quartier était détruit! Du coup ma mère détestait les Américains, elle disait: ‘Ils ont tué ma mère!’…

Voici l’état dans laquelle la rue de ma grand-mère se trouvait. (Photo Piron)
Voici l’état dans laquelle la rue de ma grand-mère se trouvait. (Photo Piron)

Juste après le bombardement beaucoup de personnes de la famille nous ont rassurées en téléphonant à Hastière, nous disant qu’ils n’avaient rien. Mais Sidonie ne nous avait pas appelées. Nos parents avaient préféré ne rien nous dire. Nous naïvement nous croyons que, comme elle était flamande et parlait moins bien français, c’est pour ça qu’elle n’avait pas appelé. C’est seulement après que nous avons appris que notre grand-mère était morte durant le bombardement.

Le frère de ma grand-mère, Joseph Wéry, qui habitait au 117 de la rue St-Nicolas est mort aussi. Je connaissais bien aussi une bonne sœur qui a été propulsée par la déflagration lors du bombardement, elle a été totalement projetée contre le Beffroi et en est morte. J’ai eu beaucoup de connaissance, des amis de la famille, des voisins qui sont morts pendant le bombardement. C’est tout le quartier St-Nicolas entier, notre quartier, qui a souffert et a été presqu’entièrement détruit ce 18 août…

Voici l’état dans lequel était désormais la rue St-Nicolas. (Collection Martine Duwez)
Voici l’état dans lequel était désormais la rue St-Nicolas. (Collection Martine Duwez)

Paul Simon

16 ans à l'époque

À l’époque, mes parents tenaient une épicerie familiale au coin de la rue Emile Cuvelier et de la Venelle des Capucins. Le magasin avait plus de 1.000 clients à l’époque. La devanture était occupée par le magasin, alors que l’arrière était là où nous habitions. Nous vivions là à 3, avec ma maman Julia et mon papa Jules. J’avais aussi une sœur qui avait 6 ans de plus que moi, elle était entrée chez les Sœurs et n’était pas à Namur à ce moment-là.

Voici à quoi ressemblait la vitrine du magasin de mes parents dans les années 30.
Voici à quoi ressemblait la vitrine du magasin de mes parents dans les années 30.

Pendant cette guerre notre famille avait aidé l’Abbé André. J’avais conduit des juifs à la Citadelle, dans une cachette qui était près d’une chapelle. Mais ils ont été pris, les Allemands s’en étant rendu compte. L’Abbé André lui n’a pas été arrêté. Mais revenons à cette tragédie du vendredi 18 août.

Quand l’alerte a commencé, j’étais dans la rue, tout près de notre maison, pour regarder les avions. Nous ne nous étions pas tracassés. Les alertes étaient courantes à l’époque. Nous nous réjouissions donc de voir des avions alliés qui se dirigeaient vers l’Allemagne. La plupart des gens sortaient exprès pour voir les avions. Comment se douter qu’ils allaient nous bombarder?

Quand le bombardement a commencé on m’a emporté de force au café ‘Le Petit Parisien’ qui faisait le coin avec la rue Pépin, il y a une agence d’intérim là maintenant. Je ne voulais pas y aller, je voulais m’occuper de ma mère qui était dans notre maison, elle discutait avec un professeur Jésuite, Monsieur Charles Herman. Il était venu pour m’aider car je n’étais pas très bon à l’école. Mon père lui était dans le magasin. Quand l’alerte a commencé, il a continué à servir sa cliente.

Le café où j’ai été emmené est celui sur le coin. Notre épicerie était à 50 mètres. (Collection JP Petit)
Le café où j’ai été emmené est celui sur le coin. Notre épicerie était à 50 mètres. (Collection JP Petit)

Quand je suis sorti j’ai vu qu’une bombe était tombée sur l’arrière de notre bâtiment. Le magasin où était mon père n’a rien eu. Il a été projeté de l’autre côté de la rue et s’en est sorti juste avec un bras cassé. Mais dans l’arrière de notre bâtiment il y avait ma mère! Je suis vite allé voir après elle. Je la voyais sous une couche de gravats qui n’était pas très épaisse. Mais tout brûlait autour d’elle. Nous venions de recevoir une tonne de sucre dans la cave, et nous avions rentré du bois il y a peu. Toutes les conditions étaient réunies pour faire un large incendie. Le professeur qui était dans notre maison a réussi à s’en sortir indemne mais il est mort plus tard durant la guerre.

Il m’était impossible de me rendre auprès d’elle. J’ai donc étais vite courir vers la caserne de pompiers qu’il y avait place du Théâtre. Mais celle-ci a elle aussi était touché par une bombe! Il fallait trouver une autre solution! J’ai donc demandé aux habitants du quartier de de faire une chaîne avec des seaux d’eau. La plupart des habitants ont proposé de l’aide spontanément. Mais en vain, cela continuait de brûler. Ma mère, tombée face contre terre est morte, probablement intoxiquée par l’incendie. Le brasier a continué pendant plusieurs jours.

Une photo de la caserne des pompiers, elle aussi touchée. (Collection Marcel Wautelet)
Une photo de la caserne des pompiers, elle aussi touchée. (Collection Marcel Wautelet)

Le soir nous avons réussi à dégager le corps de ma mère et avons acheté le dernier cercueil d’un magasin de la rue de Fer. Les Jésuites nous ont aidés à transporter la dépouille de notre maman. Je me rappelle que nous étions tous dans la voiture, avec un médecin qui nous avait aidés et avec le cercueil de maman qui dépassait de la voiture…

La nuit nous avons logé rue de Bruxelles chez les Jésuites. Ils ont été très gentils avec nous. Ils nous ont procuré des vêtements. Evidemment nous n’avions pas grand-chose comme vêtements sur nous, il faisait très chaud ce jour-là. Et avec notre maison brûlée, nous n’avions plus rien.

Je remercie aussi les scouts et les patros qui ont beaucoup aidé à déblayer. Il a fallu un petit moment avant que le magasin ne puisse rouvrir. Evidemment il a été pillé entre temps, comme toutes les vitrines étaient cassées. Tout notre stock traînait par terre. Nous n’avons pas eu d’autres victimes dans notre famille.

Le comble c’est que peu de temps après le 18 août, nous avons été libérés le 6 septembre, et c’était par les Américains, eux qui nous avaient bombardés! Ce bombardement a été pour moi un choc terrible. Il a fallu deux ou trois ans pour toucher les dommages de guerre. Ce fut une époque difficile pour nous que celle qui a suivi le 18 août 1944…